Pour faire de bons parfums, il faut de bons
produits : autrement dit des matières premières – fleurs, épices, bois
etc.- de haute qualité. Comme pour le vin, les paramètres qui feront une bonne
huile essentielle ne s’arrêtent pas là. La façon de cueillir les fleurs par
exemple, les transports, la pureté des matières puis l’art de la transformation
par distillation ou extraction joueront aussi un rôle décisif.
Les matières premières naturelles sont
récoltées généralement selon des procédés agricoles, mais parfois avec des
précautions particulières. La Lavande de Haute Provence est ainsi distillée sur
place. La rose ou le jasmin, aujourd’hui surtout cultivées en Inde, Egypte et
Tunisie pour le Jasmin et Maroc, Bulgarie et Turquie pour la rose, nécessitent
des soins très spéciaux : l’arôme naturel des fleurs étant plus fort la
nuit, la récolte se fait de façon nocturne et se termine en matinée pour
permettre aux fleurs d’être immédiatement traitées par les distillateurs à
proximité. Certains bois comme la
Cannelle de Ceylan sont distillés également sur place de façon traditionnelle
et archaïque, mais avec une qualité de résultat inégalé. Par contre la plupart
des matières séchées, comme les épices, les bois ou les résines (encens,
racines d’iris) sont d’abord transportées à Grasse notamment et distillées par
les usines aux procédés plus que centenaires.
Certains produits sont récoltés fleur à fleur,
comme la rose et le jasmin, d’autres sont exploités de façon quasi industrielle
(Cèdre, Eucalyptus) . Suivant le « terroir », le climat, et le
travail humain (la tradition), un même produit varie de qualité d’un pays à
l’autre, et de prix aussi en conséquence : ainsi l’Absolue de Rose de
Bulgarie se vend plus cher que celle du Maroc. Il y a aussi les millésimes et
les lots. Un peu trop de sécheresse et l’essence de mandarine de Sicile sera
décevante, un peu trop d’humidité et la rose sera faible… Sans parler de
l’essence la plus rare, et l’une des plus chères au point d’être cotée au jour
le jour, l’Agarwood des plateaux laotiens : il s’agit d’une résine qui
n’apparaît sur l’arbre que lorsque
celui-ci est malade. Il existe des chasseurs d'arbre dont le travail consiste à
se promener en forêt afin de dépister à quel moment tel arbre sera enfin malade
et donc exploitable !
La route des épices orientales
L’oncle et « tuteur » du prophète
Mahomet était parfumeur-épicier. En orient, aujourd’hui encore, c’est souvent
la même échoppe qui vous fournira l’essence pour vous parfumer, l’épice pour
l’alimentation et le remède pour vous guérir. Les épices et les herbes
répondent traditionnellement à cette triple fonction. Les recherches de voies
plus rapides et plus directes pour fournir l’Occident en épices recherchées
pour ces trois fonctions, aboutirent aux expéditions fameuses de Marco Polo
puis de Vasco de Gama. La route des épices n’était pas moins importante que
celle de la soie et empruntait à peu près les mêmes voies, puisque les produits
venaient de l’orient.
Les plus recherchées des épices orientales qui
aujourd’hui encore sont présentes dans nos traditions gastronomiques et dans
les compositions de parfums dits «épicés » («Opium »,
«Byzance », «Egoïste » etc.) sont la cannelle, le poivre, la
cardamome, le clou de girofle, le cumin, la coriandre (graine), la noix de
muscade, le safran, le genièvre, la vanille etc.
Certains de ces produits étaient jadis
utilisés aussi à des fins mystiques : on brûlait les épices – ou d’habiles
mélanges – dans les temples et les églises, on en parfumait même les enduits de
construction des mosquées comme la cannelle…
Ces mêmes épices en subtiles harmonies dont
les formules sont gardées secrètes, constituent les mélanges aromatiques du
curry indien ou thaïlandais, du «cinq parfums »chinois et du raz-el-hanout
maghrébin.
Les difficultés d’approvisionnement et de
transport faisaient de ces épices des produits de haut luxe : aujourd’hui
banalisées, à l’exception du safran qui coûte plus cher au poids que l’or, les
épices sont utilisées dans l’alimentation quotidienne et remplacées en
parfumerie par des matières synthétiques. Le clou de girofle qui fit la fortune
de Zanzibar et dont l’odeur flotte encore dans les rues de la ville, ne permet
plus de subvenir aux besoins de première nécessité de l’île…
L’art de l’extraction des huiles essentielles
On obtient les huiles essentielles de
plusieurs manières. La plus fréquente est la distillation directe, version
améliorée de celle pratiquée dans l’Egypte ancienne sous le nom de « vase
d'argile ». La matière première (herbe, fleur, bois ou épice) est déposée
dans un alambic avec de l’eau. Portée à ébullition, la vapeur d’eau transporte
l'essence dans un condensateur puis un séparateur. La distillation à la vapeur
permet un travail plus efficace, en évitant le contact avec l'eau : on se
contente de diffuser la vapeur à travers la matière première. Procédé plus
moderne, la distillation sous vide obtenue par réduction de la pression d'air
dans un distillateur hermétique : on peut ainsi distiller à des
températures plus basses qui respectent mieux certaines matières premières
fragiles, comme les fleurs.
La méthode dite d’expression est réservée aux
agrumes ou hespéridées. Une simple pression permet d’extraire l’essence
contenue dans les écorces. Cette opération jadis faite à la main est produite
aujourd’hui par des centrifugeuses. La meilleure extraction doit se faire à
froid.
Pour les matières les plus sensibles, la
méthode d’extraction traditionnelle était l’enfleurage.
L’enfleurage à chaud consiste à plonger dans
des bains de graisse animale ou d’huiles végétales les pétales de rose par
exemple, à les laisser macérer, puis à les jeter : en répétant l’opération
plusieurs fois, la graisse accumule l’arôme des fleurs. L’enfleurage à froid,
réservé pour le jasmin ou la tubéreuse principalement, se fait par simple
dépose des fleurs sur des « tiroirs » remplis de graisse froide et en
répétant l’opération chaque jour pendant un mois. Les graisses doivent être
ensuite lavées avec de l’alcool, puis par évaporation de l’alcool, on obtient
la concrète puis l’absolue. Aujourd’hui, ces procédés très coûteux en matières
et en travail, sont remplacés par des extractions par solvants volatils, comme
l’éther de pétrole, l’hexane et le benzène.
Enfin, certains produits sont obtenus par
macération simple dans l’alcool, comme les produits animaux : Ambre,
civette ou castoréum.
L’heure de la modernité : les produits synthétiques
Le développement de la chimie organique, à la
fin du XIXème siècle n’épargne pas la parfumerie. D’abord sous forme de
répliques – compositions synthétiques d’une essence de rose, de jasmin etc. –
les essences chimiques deviennent un élément indispensable de la parfumerie
moderne : ce sont plus de 2000 produits qui sont aujourd’hui utilisés par
les laboratoires spécialisés. Ceux-ci sont souvent les filiales des grands
groupes chimiques et pharmaceutiques. La fabrication industrielle des parfums
contemporains nécessite l’usage de
produits de synthèse pour des raisons d’efficacité et de coût. Le charme, mais
aussi l’inconvénient, à ce stade, des produits naturels est leur
irrégularité : comme les vins, les essences naturelles ont leurs bonnes et
mauvaises années en qualité et en quantité. L’industrie ne peut accepter d’en
être l’otage. Surtout le coût du naturel est sans commune mesure avec les
possibilités : ainsi une très belle rose bulgare vaudra 4000 à 5000 euros
le kilo, quand sa réplique synthétique vaudra seulement une cinquantaine
d’euros! Cent fois moins ! Dans le prix final d’un flacon de parfum acheté
en boutique, le consommateur ne débourse que 3% environ pour le parfum
proprement dit ( emballage, marketing, commercialisation et impôts se taillent
la part du lion) et finalement environ 1% pour les essences qui le
constituent ! C’est dire le miracle que les produits synthétiques ont
permis pour le développement de l’industrie de la parfumerie.
Dans le présent ouvrage, pour la fabrication
de parfums artisanaux, nous recommandons toutefois d’utiliser les matières
premières naturelles, plus chères mais meilleures et aussi plus aisées à se
procurer. Les principales sont les suivantes, au nombre d’une
soixantaine : elles constituent la « Palette » du parfumeur…